A peine arrivés à Tabriz, Gholi, chef d'entreprise de la soixantaine, nous voyant un peu perdus, montait dans notre Toq'car, nous conduisait à Elgoli Park, à 20 bonnes minutes de voiture de l'endroit où il avait garé la sienne, et ne nous quittait que lorsqu'il était sûr et certain que nous étions bien installés pour la nuit. Le lendemain matin, il passait nous prendre pour nous emmener visiter le musée d'Azerbaidjan, puis la mosquée bleue et si nous n'avions dû partir, il souhaitait continuer à nous gâter. Le soir de notre arrivée aussi, c'est Sammad, étudiant en droit, qui nous invitait à boire un thé et à discuter. A l'office de tourisme de Tabriz, on est reçu comme à la maison par et son frère qui nous accompagnent dans toutes nos démarches, y compris jusqu'au restaurant du bazar où on se régale pour une somme modique.
Sur l'autoroute, on nous laisse parfois passer les péages gratuitement, puisque nous sommes étrangers. Dans les stations-service (si l'essence est rationnée et coûte cher en ce moment, le diesel ne l'est pas, mais nous devons aller dans les stations pour camions), on nous fait passer devant les camions.
A Teheran, où nous sommes entrés courageusement de nuit (il faut tout de même vous imaginer que la capitale iranienne est 4 fois plus grande que Paris intra-muros et que les iraniens se transforment en fous-dangereux dès qu'ils montent dans leurs voitures et que la nuit, on ne respecte plus les feux) nous avons atterri devant le parc e-Shar, en plein centre. Devant un bâtiment officiel nous avons demandé à un garde où nous pouvions nous installer. Immédiatement il nous a dit (le tout en farsi-anglo-français-mimes) de nous garer devant lui, qu'il veillerait sur nous. A notre retour du parc (les enfants avaient bien gagné leur promenade, le pilote et la copilote aussi), il nous apportait 3 belles boîtes pleines de riz et Kebab, joliment présenté et délicieusement cuisiné. Puis un de ses collègues, anglophone, est venu nous voir et bavarder. Il nous a installés dans une ruelle un peu plus à l'écart, juste devant l'institut médico-légal, où il travaille (ce n'est pas le lieu où l'on fait les autopsies mais celui où on examine et constate les violences sur les victimes et les coupables). Au passage, c'est un des médecins-chefs qui nous a souhaités la bienvenue, et nous a proposés repas, douches, toilettes. Nous avons passé une bonne partie de la soirée, alors que les enfants dormaient, à discuter, échanger, et nous retournerons voir notre jeune ami Amir aujourd'hui. Les militaires qui vivent là nous ont aussi invités à prendre le thé, ont appelé pour nous des parkings pour voir qui pourrait nous accueillir les jours suivants.
Nous sommes tout de même partis trouver un endroit où nous dérangerions moins.
Nous avons trouvé une rue tranquille, un peu plus au Nord, (près de métro Shahid Mottafeh) idéale pour nous. La voisine d'en face est venue nous accueillir, et quand je lui ai dit que je cherchais une laverie, elle a insisté pour que j'aille laver notre linge chez elle. Le gardien de l'immeuble de bureaux devant lequel nous sommes veille sur nous, nous fournit de l'eau, et hier il a voulu aussi nous offrir de la pastèque. Sans parler des rencontres drôles, comme cet étudiant en génie civil, neveu d'un célèbre professeur de médecine irano-parisien, qui a partagé un taxi avec nous hier soir (jamais je ne pourrai raconter aux grands-mères de nos enfants les trajets en taxi, dignes du film du même nom, à 7 dans une vieille voiture pourrie, avec ce jeune décidé à échanger le plus possible le temps du trajet avec nous...), ceux qui spontanément dans la rue nous demandent si nous avons besoin d'aide (il faut vraiment vous mettre en tête que les gens nous dévisagent, rigolent, se retournent sur notre passage, nous interpellent, nous prennent en photo, que les enfants rigolent ou restent médusés et que la tenue que vous me voyez sur cette photo est visiblement très olé olé alors que je crève de chaud et que m'habiller est un casse-tête) tous s'inquiètent de savoir si nous avons tout ce qu'il nous faut, si notre séjour se passe bien, une dame à qui nous demandons notre route et nous offre la moitié de son pain (il se vend par plaques et nous le mangeons comme du gateau tant il est bon), un homme qui nous croise devant l'ambassade d'Inde décide d'y venir avec nous pour nous aider dans nos formalités en nous ayant d'abord invités chez lui à prendre le thé etc etc etc.
Je ne parle même pas de notre amie Nastaran, étudiante en FLE et prof de français de mon âge (donc très jeune), rencontrée sur internet, et qui nous promène dans Teheran. Il faut avouer qu'en plus du plaisir de sa compagnie (j'ai l'impression de la connaître depuis très longtemps !) qu'il est très reposant pour nous de nous laisser guider, mais aussi de pouvoir parler français (elle parle si bien qu'on oublie souvent qu'elle est iranienne), et surtout de pouvoir comprendre ce pays, sa culture, goûter à plein de fruits savoureux aux noms étranges (Ulysse dit qu'on est comme des explorateurs découvrant un nouveau monde, c'est tout à fait ça), refaire notre vieux monde encore et toujours, et toujours mieux je crois au fur et à mesure de notre voyage.
Grâce aux iraniens, à cette hospitalité inimaginable que nous avons déjà rencontrée en Turquie et en Albanie qui nous est totalement inconnue en Europe, héritée de l'islam, et qui leur est si naturelle, nous oublions un peu le côté obscur de ce pays, ces femmes en noir comme pour les faire disparaître, les hommes qui m'ignorent, les bus où femmes et hommes sont séparés (merci Nastaran de m'avoir évité de commettre un impair !), les rames de métro réservées aux femmes, la condition des femmes, le manque de liberté d'expression et tout ce que beaucoup, surtout les jeunes, nous révèlent, qui est aussi difficile à mesurer de loin et qui m'emplit parfois d'une émotion indiscible et d'un sentiment de révolte que je n'ai pas l'habitude de devoir contenir, tant justement elle nous est naturelle à nous cette liberté d'expression.
Les enfants eux, sont heureux comme toujours. Gaspard a arrêté de demander des bonbons aux militaires, il a aussi arrêté de dire "cachée Madame !" face à toutes les iraniennes, Ulysse et Rachel réalisent notre chance mais raffolent des parcs iraniens et de leur cuisine, les trois posent comme des stars devant tous les objectifs. Il est impressionnant de voir comme les enfants sont à l'aise dans tous les pays, dans toutes les situations. 5 jours après notre arrivée en Iran, ils semblent avoir toujours vécu dans le pays et c'est toujours ainsi !
A vrai dire, le seul moment où je me suis réellement sentie mal en Iran, c'est à l'ambassade de France, où nous sommes allés signaler notre présence dans le pays, comme on nous demande de le faire. J'ai retrouvé des visages fermés, des regards méprisants, des portes qui nous claquent au nez, un accueil glacial et minable.Ulysse était content à l'idée de poser un pied en France, moi à l'idée d'enlever mon voile. Finalement, nous étions heureux d'en ressortir. Mieux vaut un sourire voilé qu'un mépris affiché !
PS : nous n'avons pas de cybercafé dans notre quartier, les connections internet sont très très lentes, les réseaux wifi inexistants, certaines pages internet inaccessibles, il vous faudra donc attendre un bon moment pour voir la tonne de photos que j'entasse à votre intention. De même notre emploi du temps ne nous permet pas toujours de nous arrêter dans des cybercafés, nous lisons vos mails avec grand plaisir et y répondons également tranquillement et hors connexion. Nous revoici un peu au temps du bon vieux papier, je dois me faire à l'idée que vous ne lisez plus mes courriers au moment où je les écris et qu'il y a un décalage temporel dans nos correspondances. Mais ça ne fait pas de mal à la Toquée pressée que je suis de prendre l'habitude de la lenteur et de la patience, dont nous aurons grand besoin dans la suite de notre odyssée !
PPS : Une pensée supplémentaire pour Olivier le téhéranais
PPPS : C'est surtout vers ma famille et celle d'oncle Jacques que vont nos pensées, nous restons accrochés au téléphone, il est dur d'être loin quand arrivent les pépins...
18 commentaires:
Merci d'avoir pensé à moi. Grace à votre descrption de Téhéran, je suis retourné bien des années en arrière avec beaucoup de nostalgie. Bises à vous 5.
oh merci pour ce long récit. On vous imagine bien, et on se réjouit pour vous.
Je vous écris depuis l'avenue de tamamès, tout marche bien, on est installés comme des rois!
Les cousins sont là, pour entourer tante Adée,Les bulletins de santé suivront!
Coucou Amatxi ! On est presque voisins, alors !
TT, merci pour ce récit palpitant et pour tes mails...
Avec ce beau témoignage d’un accueil aussi chaleureux que désintéressé*, on ne peut se défendre d’une certaine gêne en imaginant la situation diamétralement opposée : une famille d’enseignants iraniens visitant la France de Sarkozy-Hortefeux dans un véhicule conforme à leur salaire. Ignorance, rebuffades, contrôle au faciès et tutoiement, etc.
Bon, en continuant dans le diamétralement opposé, on peut imaginer que le seul endroit où ils seraient bien reçus serait l’ambassade d’Iran en France…
J’espère que vous vous ferez le double plaisir d’envoyer un copie papier de votre texte à Monsieur l’Ambassadeur, et de lui dire qu’il figure sur le net !
* Vient-il de ce que ces gens sont tout simplement comme ça, de ce qu’ils aiment la France (plus qu’elle ne le mérite), ou pour nous faire comprendre qu’ils ne sont pas les sauvages que certains croient ?
Thérèse, comme ti es belle avec ce foulard rose!!!totalement décalé et à la fois très TT...tu peux aussi le décliner en argenté ou en rouge basque...j'adore!
natacha
Au fait les Toqués est-ce que vous avez lu les BD de Marjane Satrapi? Persepolis? Je suppose que oui, mais en voyant toutes ces silhouettes noires et en te lisant TT, ça m'a replongée tout de suite dans ces fabuleux moments de lecture.
natacha
j'adore ton foulard ! on devrait en exporter des comme ça...
quel beau et grand pays l'Iran, quelle culture gigantesque ! j'ai pensé à toi hier soir, deux iraniens venaient dîner à la maison. quand on parle avec eux, quand on les lit, quand on sent cette immense civilisation, on en oublie presque ces longues silhouettes voilées de noir. Mais on ne peut pas.
Ce que ton récit du passage à l'Ambassade est cruel mais : on s'y voit ! pffffff....
(jadore Gaspard et les madames cachées !!!!)
Bises à vous 5
Mais tu es en ligne !!!! bises en direct ma belle !!!
Bravo pour ce récit passionnant.
C'est vrai que l'hospitalité chez les musulmans, est extraordinaire, et je l'ai souvent expérimentée.
Nous avons beaucoup à apprendre dd'eux sur ce point.
Mais ne perdons pas de vue que notre pays reste très accueillant et qu'il reçoit certainement beaucoup plus d'émigrés que l'Iran...
Certes nous devons rester vigilants et même exigeants avec nos politiques mais je crois qu'il ne faut pas avoir honte de notre pays: la France reste une terre d'asile et d'accueil, non?
je me sens un peu ignarde et inculte quand je te lis. C'est absolument fascinant de découvrir ces pays de cette façon. Merci infiniment....
Bon courage à la famille Contraires ou Pénaud (?) pour les vraisemblables soucis de santé.
Je crois que vous ne pouvez même pas imaginer cette hospitalite et ce qui est fou, pour te repondre PMB, c'est qu'elle est naturelle et
désintéressée totalement. Les gens ne savent meme pas de quel pays nous venons lorsqu'ils nous aident. Certes les enfants nous aident bien mais c'est de la folie. Tandis que je vous ecris ce matin, je suis installee dans la chambre de notre jeune voisine illustratrice, elle m'a servi biscuits délicieux et boissons. Elle vient de partir ramasser mon linge étendu chez sa tante qui m'a prêté son lave-linge et nous a aussi donné plein de bons fruits. Mon amie Nastaran et une autre étudiante sont en
train de nous cuisiner un repas iranien ds le ccar. Et je viens d'être interrompue par la voisine qui veut absolument nous donner du riz et je ne sais quoi encore. Ce matin, des policiers sont venus nous contrôler, immediatement ma garde rapprochée voilée est apparue pour nous aider et traduire. Xtophe, qui devait se battre a l'ambassade d'Inde, a été aidé
par Constantin rencontré qques jours plus tôt qui a intercédé pour
nous -sans succès- auprès du consul d'Inde et nous a aussi offert des
fruits délicieux. Vraiment, ça depasse tout ce qu'on peut imaginer et on se sent vraiment minables, nous qui pourtant nous pensions ouverts accueillants et hospitaliers.
Natacha, j'ai qd meme dû acheter un manteau et un foulard noir pour
passer un peu plus inapercue. Du coup, Gaspard me cherche sans cesse qd nous sortons et se trompe souvent de maman : comment reconnaitre votre mère de loin ds ce contexte ???
Nous sommes tristes de devoir quitter Téhéran et tous ces gens
merveilleux, mais d'autres aventures nous attendent et sans doute d'autres belles rencontres. Et comme toujours, on se console en se disant qu'on reviendra.
Bises a tous
Je me régale à te lire Thèrèse mais il me tarde de te voir, le quartier est bien mort sans cette petite famille, même le facteur me demande très souvent où vous êtes et comment cela se passe. Je le renseigne pour le rassurer. Mais je viens de lire qu'Amatchi est à côté et je me sens moins seule. Qu'elle n'oublie pas que j'ai vos sacs poubelles à la maison. C'est marrant de passer par l'Iran pour la commission. Nathalie, si tu as un problème pour le petit tu me fais signe, il remplacera Ulysse. L'autre jour j'ai dépanné Rosa avec de la Javel et je me suis retrouvée au bon vieux temps!! Bisous à tous 5 et profitez bien pour nous tous...
Merci, Matita !!
bravo aux voyageurs dont je suis fidèlement et passionnément les aventures Amano de Paolo
Salut les Toqués,
Nous vous suivons attentivement depuis notre rencontre en Grèce...c'est bien le net !
Je suis sûr que Xavier & Anne (t-cap-au-sud) auront un petit pincement au coeur à la lecture de vos post sur l'Iran....
Nous vous souhaitons bonne continuation, et continuez à nous faire voyager par anticipation !?!...
Lolo & Karo : "les lipocampeurs"
et bonjour les voisins, je vais plus souvent en Iran que dans le quartier... je pensais venir vous voir hier soir et le décalage horaire m'a anéantie! je viens très vite!
et Nath, à bientôt aussi!
biz aux voyageurs en passant!
Quel plaisir de lire ce récit sur l'Iran et que de souvenirs !. Merci
La Grand mère des 4 Mahorais
Bienvenue grand-mere des mahorais !
Tonton Cristobal, effectivement c est la le paradoxe entre les relations individuelles des hommes et une politique qui les coupe de toute information de toute liberte primaire. Et il est certain que les francais - pardon clavier difficile - et touristes sont peu nombreux en iran ce qui attire sympathie et curiosite de tous. A noter toutefois que l Iran connait l immigration, notamment par les refugies, afghan entre autres. Mais si pour rien au monde je ne souhaiterais vivre ici parce que j apprecie tant notre liberte et la vie qu en tant que femme je peux mener chez moi, si ce voyage nous apprend a mieux apprecier encore notre pays, je prends qd meme une belle lecon d humanite.Bises a tous
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