Au parc de Sariska, nous avons pu dormir dans le calme des paysages de Kipling, redécouvrir le silence et l'odeur de la nature et surtout admirer des animaux sauvages et rares pour nous, dans un cadre enchanteur. Je vous laisse les découvrir sur les photos et en trouver le nom. Notre plus grand régal a été de nous lancer à la poursuite d'un léopard, repéré par notre guide à son cri, très proche, un moment incroyable pour tous qui fait qu'Ulysse ne sait plus s'il veut être archéologue, vulcanologue, journaliste, grand reporter, guide au Taj Mahal, conducteur de jeep ou zoologiste (Rachel veut toujours être peintre ou écrivain, on aurait dû l'appeler Constance ou Tête de mule).
Pour y parvenir depuis Agra, nous n'avons sans doute pas emprunté la route la plus directe et nous sommes perdus dans des villages incroyables. Nous avons souvent demandé notre route, ce qui n'est pas toujours très efficace en Inde : les indiens ne sont pas contrariants et même lorsqu'ils ne savent pas répondre, ils disent oui (de leur petit hochement de tête latéral). Il est donc indispensable de bien formuler la question : "Sariska ?" - pas de mots inutiles, pas de phrases, de sujet de verbe, surtout pas de coordonnées, aucun de ces ornements dont raffolent habituellement les profs, même pas de formule de politesse, ça complique trop - et surtout de ne donner aucune indication de route de la main, où on nous répond invariablement oui, enfin, ce que nous interprétons parfois comme un oui, même si nous montrons la mauvaise direction. Il faut donc faire en sorte que la personne interrogée, si elle a compris ce que nous cherchions, montre d'elle même quelle est la route que nous devons emprunter. Mais si par bonheur on arrive à cette étape, il faut interpréter ce geste, parfois de la tête, du regard, parfois de la main, souvent cette mystérieuse diagonale invisible. Et si par malheur nous avons le réflexe de demander, geste à l'appui, "left ?", on nous répondra oui, même si la diagonale signifiait "right". Tout un art. Qui complique un peu notre tâche mais la rend si drôle aussi...
Dans le parc, nous avons dû faire face à un nouveau problème : les singes. A peine étions-nous arrivés et garés qu'ils sautaient tous sur le Toqcar et tentaient d'arracher les fils des panneaux solaires. Nos vélos aussi les intéressaient beaucoup et voir deux singes assis dans les sièges arrières de nos vélos, était à mourir de rire. Enfin... ça c'était au début. Parce qu'après on a compris que c'était une plaie. Trois fois j'ai trouvé un singe dans le camping-car, volant des biscuits ou tout ce qu'ils trouvaient qui pouvait ressembler à de la nourriture (et ça schlingue un singe - à prononcer à voix haute). Nos poubelles, bien que fermées et déposées dans des bennes fermées, étaient systématiquement ouvertes, déchirées et répandues partout dans le parc de l'hôtel. Du plus bel effet. Bon... les singes ne sont pas toujours malins, ils adorent léchouiller l'intérieur des couches de Gaspard...
Donc malgré le plaisir que nous avons eu à vivre au milieu d'eux, comme nous le faisons habituellement avec les pigeons, les vieux qui votent Sarko ou les crottes de caniche (à Biarritz ces deux dernières catégories semblent assez liées étrangement), nous avons dû apprendre à nous en méfier et à leur jeter des cailloux ou les menacer avec un baton (faudra qu'on évite avec les caniches et les vieux qui votent Sarko au retour) .
Mais c'est d'autres drôles d'oiseaux dont je voudrais vous parler aujourd'hui : les chauffeurs de rickshaws. Il faut donc savoir qu'en Inde les rickshaws sont absolument partout. Il y en a plusieurs types : les rickshaws à vélo : tuk-tuk (pardonnez l'orthographe), qu'ils appellent aussi hélicoptères, dont nous ne sommes pas encore férus. C'est surtout psychologique de notre part : nous faire trimballer tous les cinq par un type qui pédale comme un fou pour nous traîner, on n'arrive pas encore bien à l'accepter. Et puis ça nous oblige à beaucoup nous entasser, et ça non plus on n'est pas encore habitués, quoi qu'on commence... Nous prenons donc surtout les moto-rickshaws, triporteurs à moteur, parfois même avec deux banquettes dos à dos. Les indiens peuvent rentrer à vingt là-dedans, et parcourent parfois de sacrées distances.
Les rickshaws sont partout. C'est à dire que où que vous soyiez, vous levez la main, et cinq rickshaws s'arrêtent pour vous emmener où vous voulez et pour un prix que nous marchandons parce que nous commençons à savoir ce que nous pouvons accepter et que nous refusons de nous faire avoir, mais très très bas pour nous, gros richards d'européens. Pour 50 centimes d'euros nous traversons n'importe quelle ville (NDLR : la ville de base compte 2 millions d'habitants en Inde) tous les cinq. L'autre avantage c'est qu'un chauffeur de rickshaw peut tout nous procurer. Lorsqu'on cherche qqchose il suffit de demander "nous voudrions acheter du lait en brique, puis trouver un opticien pour réparer des lunettes, puis aller voir tel monument". On discute du prix, on finit par obtenir gain de cause parce que sinon on part, et on a un chauffeur. Une assurance, un garagiste, de l'eau de telle marque, un tissu de telle couleur, une vis de telle taille ? Un véhicule avec chauffeur pour une heure, deux, la journée ? Le tour de la ville ? Un resto, Elle en Français ou le Monde (devinez qui lit quoi ?) ? Demandez à un chauffeur de rickshaw. Tout ce que vous voulez. Et autant vous dire que rien ne leur fait peur niveau chargement et distance. Et qu'en général ils préfèrent nous attendre pour s'assurer une course avec nous au retour. C'est un des éléments qui nous facilite la vie ici, parce qu'en plus, c'est un moyen de transport très très agréable.
Mais à vrai dire aussi, pour trouver un rickshaw, il n'y a pas à lever la main, parce que le souci, c'est plutôt que tous les rickshaws nous abordent, s'arrêtent lorsqu'ils nous voient, nous attendent devant notre lieu de campement dès qu'ils l'ont repéré. Il y a aussi ceux qui veulent justement absolument nous emmener dans tel ou tel magasin, parce que vous vous doutez qu'à chaque client qu'ils amènent, ils touchent une commission. Il y a ceux qui nous collent, ceux qui nous font de belles déclarations d'amour "I love you, I love your childs, I love your couple", ceux qui nous promettent la lune quand on ne veut que le Taj Mahal. Franchement ils sont casse-pieds et on est très souvent obligés de les envoyer ballader sans nous. Mais on leur tire notre chapeau. Quasiment aucun ne sait lire, mais tous parlent anglais, tous connaissent pas mal de mots de français, nous sommes conscients que parfois, ils ne comprennent même pas l'adresse où nous voulons nous rendre, mais avancent un prix, puis se débrouillent en route pour demander, et trouver, toujours (mieux que nous en tous cas). Pour les chauffeurs de rickshaw, tout est vraiment possible.
Et enfin, quand je pense que chez nous on s'extasie face à des types qui pédalent en tenue de danseuses, suivis par une foule de médecins, photographes, admirateurs, journalistes, masseurs, diététiciens, sur des vélos plus légers que mon téléphone portable, alors qu'ici des tonnes d'indiens maigrichons en jean, de 6 à 66 ans, parcourent des distances incroyables, sur des vélos antémoussoniens portant des charges folles, pendant des heures et des heures, tous les jours, peut-être aussi drogués que nos cyclistes, mais beaucoup moins nourris, et surtout pour gagner en un mois ce que coûte un paquet de pop-corn vendu à une étape du tour de France, je me dis qu'on vit vraiment dans un monde de toqués...
Pour finir sur une note philosophique et poétique, un beau proverbe, très indien, que nous a appris un de nos chauffeurs aujourd'hui en apprenant que nous avions deux fils et une fille (jamais évident pour eux) parce que les conducteurs de rickshaws sont aussi de grands sages, et qui, sans nul doute, plaira à pas mal de nos amis, parce que même si la perfection formelle en est contestable, le message qu'il véhicule est formidable : "no son, no fun"...